Sujet du printemps des poètes : le temps
Prose jamais posée, présentée à l'association (2013)!
en plusieurs épisodes
Prose jamais posée, présentée à l'association (2013)!
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Générations entre deux ombres
Générations entre deux ombres
Il est tout imprévu avec ses remarques inattendues mais non saugrenues. Déjà haut comme trois pommes, cet enfant petit bonhomme, ne se lassait pas de glorifier son grand-père de « Grand-papa » qui lui faisait ouvrir la bouche tout sourire, tout amour. Le bleu de ses yeux inondait l’univers d’un éclat merveilleux, saupoudrant l’étincelle de l’innocence accompagnée de battements de mains. Heureux, il l’était comme un petit prince !
Depuis que sa grand-mère est disparue, le cercle familial s’est agrandi. Il vit avec ses parents chez son grand-père dans un quartier tranquille à Paris. Le petit Pierre est magique en ce nouveau foyer endeuillé. Il bouscule gentiment les habitudes, occupe les moments silencieux de son Grand papa qui se font de plus en plus rares.
« Viens Grand-papa ! On va acheter le journal et tu me raconteras des histoires ? Après, nous jouerons au billes sur la table que tu as transformée sur les quatre bords, pour ne pas qu’elles tombent. »
Grand- papa tirait sa montre, et d’un geste rapide entrebâillait une tenture de la fenêtre, puis lançait :
« Allons-y jeune-homme ! il fait suffisamment beau pour se divertir ; mets quand même ton pull rouge, ainsi je ne te confondrai pas avec le vert de la prairie. »
Les voici partis d’un pas léger, mesuré au rythme de la complicité. Prenant le chemin des écoliers, ils erraient par-ci, par-là, traversaient les champs, ivres de liberté comme deux papillons amoureux qui se suivent à la trace, se séparent pour mieux se retrouver.
Pierre, en ces endroits, pouvait lâcher la tendre main en toute sécurité. Il cueillait marguerites et boutons d’or qu’il arrachait sans précaution, mêlés aux brins d’herbes qui suivaient le mouvement.
« Tiens Grand-papa, tu me gardes le bouquet »? Il repartait vagabonder. « Tiens, encore une pour maman. »
Dès qu’il fallait rejoindre le trottoir pour aller chez le buraliste, il revenait vers son Grand-papa, se jetant sur la main garde-fou. Tous deux alors redevenaient sérieux et attentifs, fiers l’un et l’autre. Il n’était pas possible de déceler lequel des deux l’était le plus. Pierre se prenait pour un grand. Grand-père se faisait sage-responsable d’une parcelle de la « procréation » ! Ce fut un très beau cadeau qu’il reçut ce jour-là. Devenu Grand-père, il se revoyait père une seconde fois, n’en confondait pas le rôle pour autant.
Il n’avait d’yeux que pour ce petit Pierre qu’il voulait rendre fort, l’armant de belles paroles, dès son plus jeune âge.
Il avait une façon particulière, tout en fronçant les sourcils, de porter une main sur sa bouche, et d’un va-et-vient rapide, tout juste appuyé, passait l’index sous le nez. Il cherchait, en ces moments précis, la réponse adéquate qui ne gêne personne, ouvrant parenthèse sur parenthèse au fur et à-mesure, pour répondre aux cinq ans de son petit-fils. Il avait le don de fleurir ses mots pour que la « leçon » d’adulte qu’il voulait comprise, devienne l’histoire du royaume de l’enfant. Il faisait mouche à chaque fois avec son fameux vocabulaire parfumé, laissant en l’espace une essence empreinte d’éternité.
Il en imposait par la douceur de son tempérament faisant planer une impressionnante sérénité autour de lui, malgré son regard noir et sa tenue « vieille France ».
Ô quel affectueux respect tous lui vouaient sans qu’il ait à le susciter ! Il était là, inlassablement bienveillant et cela suffisait.
Toujours vêtu d’un complet gris-anthracite, il le délaissait l’été ; la saison « récréative » passée avec son petit-fils lui permettait une autre tenue plus décontractée.
Depuis peu de temps, il laissait pousser une courte barbe poivre et sel et portait des lunettes en écaille. Ces deux petits changements accentuaient, tout naturellement, sa position d’aïeul.
Petit Pierre a grandi dans ce milieu douillet. Il a vaillamment atteint ses douze ans. Depuis un an il est inscrit au lycée et c’est avec un plaisir fou et partagé, qu’il associe presque tous les soirs, son Grand père à la rédaction de certains devoirs.
Ce ne sont plus des « pourquoi » ni des « comment » mais de petites conversations pertinentes qu’il tient avec son grand-père ; discussions avec débats qui tutoient la confidence.
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